Réforme du marché carbone européen : les adieux difficiles aux quotas d’émissions gratuits

 

Que s’est-il passé le 8 juin dernier au Parlement européen pour que les groupes du centre et de la gauche (Renew, Socialiste Démocrate et Vert) bloquent l’un des paquets législatifs les plus importants du FitFor55 (la stratégie de l’UE pour diminuer de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030) ?

C’est un amendement déposé par la Commission de l’industrie et adopté grâce au soutien des groupes de droite (Parti Populaire européen, Conservateur et Identitaire) visant à reculer la date de l’arrêt progressif des quotas d’émissions gratuits du marché ETS [1,2] qui a fait bondir les eurodéputés centristes, écologistes et de gauche. Ces derniers ont rejeté le paquet modifié qui aurait permis notamment aux industriels du ciment et de l’acier de cumuler quotas gratuits d’émissions et MACF [3] pendant plusieurs années et aurait diminué encore un peu plus les ambitions de réduction d’émissions de l’UE.

Hier, un compromis a finalement été trouvé afin de valider cette mesure que le président de la Commission environnement, Pascal Canfin, qualifie lui-même de « navire amiral de la réglementation climatique européenne ». Le texte doit maintenant passer entre les mains des ministres des États membres au Conseil de l’UE, les négociations avec le Parlement devraient débuter en même temps que la présidence tchèque.

 

Où en sommes-nous ?

L’arrêt pensé originellement par la Commission environnement s’étalait de 2024 à 2030. La Commission de l’industrie considérant cette interruption bien trop brutale, est parvenue à faire amender le texte avec la période 2027-2034. Un compromis a été trouvé ce mercredi 22 juin sur un arrêt entre 2027 et 2032. Le Parlement espère que ce consensus tiendra dans le cadre des futures négociations avec le Conseil de l’UE avant l’adoption définitive.

Cependant ce compromis n’emporte pas les foules. Trop peu ambitieux pour certains eurodéputés écologistes, cette révision du marché carbone est déjà considérée comme “un monstre bureaucratique […] enclin aux abus” par l’association allemande de l’industrie chimique. En effet, le texte précise que les quotas gratuits devront continuer à s’appliquer pour les exportations vers des pays sans réglementation carbone, ce qui complexifie une mise en pratique déjà difficile. Les industriels redoutent aussi que l’augmentation du prix des matières premières ne pousse les clients à s’approvisionner en produits manufacturés en dehors de l’Europe.

 

Tout comprendre sur la fin des quotas d’émissions gratuits :

 

[1] Qu’est-ce que le marché européen ETS ?

Petit rappel: il existe une obligation d’achat de quotas d’émissions de CO2 pour les entreprises européennes de certains secteurs (génération d’électricité, raffineries, fabrication de verre, de céramique, d’acier, de ciment …). Ces quotas peuvent être vendus et achetés sur le marché ETS. C’est un mécanisme primordial dans la lutte contre le changement climatique puisqu’il permet de faire payer les entreprises pour leurs émissions.

 

[2] Pourquoi existe-t-il des quotas d’émissions gratuits ?

Les secteurs industriels les plus émetteurs comme la production de ciment ou d’acier bénéficient de quotas gratuits pour éviter que la hausse des coûts liée à cette obligation d’achat ne leur fasse perdre trop de compétitivité par rapport à leurs concurrents étrangers (non soumis à cette contrainte). Avec, notamment, un risque de délocalisation de la production en dehors de l’UE.

 

[3] Qu’est-ce que le MACF ?

Le paquet législatif du 8 juin visait à supprimer progressivement le privilège des quotas d’émissions gratuits grâce à l’introduction d’un Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières de l’UE (MACF ou taxe carbone aux frontières de l’UE). L’objectif est de taxer les produits importés en Europe sur leurs émissions de carbone afin d’appliquer aux producteurs non européens les mêmes contraintes que celles qui pèsent sur nos producteurs.

Ce mécanisme venant rééquilibrer la concurrence avec les producteurs non européens, l’allocation de quotas d’émissions gratuits n’a théoriquement plus de raison d’être. Le paquet proposé par la Commission environnement prévoyait un arrêt progressif des quotas gratuits entre 2024 et 2030 (pour une entrée en vigueur du MACF autour de 2025).