Avoir 17 ans aujourd’hui, pour de nombreux adolescents n’est pas synonyme d’insouciance. Avoir 17 ans aujourd’hui c’est vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : le changement climatique.

Ils s’appellent Greta, Anuna, Brice et aujourd’hui, ils sont devenus les égéries d’une jeunesse qui appelle les pouvoirs publics à l’aide. Les associations à l’instar de « Youth for Climate » et les initiatives telle que les « Jeunes champions de la Terre » de l’ONU fleurissent. Ils crient tous à l’aide au nom de leur génération, celle qui, lorsqu’elle sera en capacité d’agir se trouvera face à un champ de ruines. Ils nous crient l’urgence d’agir contre le changement climatique car il est encore temps, mais bientôt, il sera trop tard pour éviter le pire. Contenir le changement climatique « bien en-deçà des deux degrés » comme le préconise l’accord de Paris ratifié par 197 pays mais pas appliqué à la hauteur de la menace. Aujourd’hui c’est l’existence même de l’humanité et de la biosphère dont elle dépend qui est mise en cause par le changement climatique. L’incertitude est prégnante et terrifiante : nos actions d’aujourd’hui modèleront le monde de demain dans lequel évolueront ces adolescents et peut-être leurs enfants.

Ces jeunes ont conscience du fait que l’humanité est au bord du précipice, alors comment expliquer l’inertie et l’inaction coupables des états et des pouvoirs publics en général ? Et comment ne pas s’insurger face au déni de la grand majorité de la société civile ? Pour ces jeunes, c’est leur avenir qui se joue dans les douze prochaines années[1].

Pouvoirs publiques et société civile unis dans un même déni

Evidemment, les pouvoirs publics sont coupables d’inaction et d’inertie dans la prise de décision mais comment les blâmer, quand la majorité de la société civile est encore dans le déni total du drame en cours.

Comment ne pas s’insurger face à des parents qui se prélassent au soleil de février en déclarant que c’est quand même bien agréable, on va pas se plaindre, le changement climatique a du bon ? Non, vraiment pas… Alors que les signes du réchauffement deviennent tangibles, pourquoi ces parents ne sont-ils pas angoissés par les températures hors norme de ce mois de février. ?

Sans parler des quelques climato-sceptiques restant (Donald Trump en tête), de plus en plus isolés, et alors que le consensus semble l’avoir emporté sur la question, il semblerait néanmoins que notre cerveau choisisse d’ignorer le changement climatique comme l’explique le sociologue et philosophe George Marshall dans le Syndrome de l’Autruche. Ce syndrome empêcherait la plupart des gens de voir l’ampleur de la catastrophe en cours, leur imposant, inconsciemment, de choisir de rester dans un mode « business as usual », régi par les marchés, position rassurante mais extrêmement court-termiste. Alors que les premiers rapports scientifiques prédisaient un avenir sombre à l’humanité en cas d’inaction climatique à horizon 2100, ces mêmes scientifiques, GIEC en tête, ont depuis bien longtemps revu leur copie et nous annoncent des conséquences dramatiques de notre inaction dès 2050, voire même 2030 ! Ce qui pouvait être audible – bien que pas excusable – « en 2100, on a le temps de voir venir d’ici là, nous aurons développé des technologies qui permettront, blablabla… », ne l’est absolument plus aujourd’hui. Tous les signaux sont à l’écarlate et pourtant, l’inertie perdure.

Accord de Paris : une mise en œuvre qui piétine

Historique ! La signature et la ratification en un temps record (197 pays à ce jour) de l’Accord de Paris en décembre 2015 lors de le COP 21, laissait présager d’une véritable prise de conscience et surtout d’une mise en œuvre rapide, efficace, basée sur des techniques abordables à tous plutôt que sur des technologies pas toujours au point telle que la captation et la séquestration géologique du CO2 (CCS) et l’échange de bonnes pratiques, sur la base de responsabilités partagées mais différenciées entre pays développés et en développement. Un bel accord qui pourtant aujourd’hui, COP après COP, peine à se mettre en œuvre de façon efficace. La COP 24 qui s’est déroulée en décembre dernier à Katowice, en Pologne, nous a démontré cette difficulté de mise en œuvre.

La Pologne, champion de l’organisation des COP (celle-ci était la troisième), du charbon européen et aussi du blocage des législations européennes sur l’énergie et le climat, s’est en effet félicité, à l’issue de la COP 24, d’avoir facilité l’adoption d’une feuille de route pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris, tout en plaidant, au nom de la justice sociale, une sortie du charbon à horizon 2050, tout en mettant en place des puits de carbone, misant tout sur ses forêts et zones humides pour absorber ses émissions liées au charbon, en témoigne le pavillon polonais qui illustre parfaitement ce positionnement. Difficile dans ce contexte de se réjouir l’établissement de cette seule feuille de route alors qu’un des enjeux majeurs de cette COP 24 était l’élévation des ambitions des états dans leurs NDC[2]. Pourtant Greta était là, elle a interpellé les décideurs et elle n’était pas seule, de nombreux jeunes étaient présents, unanimement salués pour leur courage et leur engagement. Pourtant, à l’issue de cette COP, seuls les Iles Fidji et Marshall, directement impactés – comme tous les états insulaires du Pacifiques déclarés comme « vulnérable » – avaient revu leurs ambitions à la hausse, nous confirmant que l’humanité doit être au bord du précipice pour agir.

La justice climatique pour tous

Ce que nous hurlent aujourd’hui les adolescents, c’est que la notion de justice climatique établie par les pays vulnérables regroupés autour du CVF (Climate Vulnerable Forum)[3], doit aujourd’hui s’étendre à l’ensemble des populations et notamment aux jeunes générations d’aujourd’hui et de demain car il est inadmissible que nous fassions porter ce poids sur leurs épaules. Comme l’a exprimé Brice Montagne, ils nous implorent aujourd’hui de traiter le sujet tel qu’il est : une crise inédite dans l’histoire de l’humanité. Dans son discours face aux parlementaires luxembourgeois, ce jeune homme a parfaitement exprimé les faits. Lorsqu’il s’agissait de se liguer contre la barbarie de l’Allemagne nazie, les Britanniques, les Américains et leurs alliés ont su se mettre en ordre de marche en revoyant et en transformant en urgence leur économie en économie de guerre. Aujourd’hui, il déclare : « Pour comprendre l’état de crise dans lequel nous nous trouvons, hélas, nous avons un énorme problème, nous n’avons pas d’ennemis autres que nous-mêmes en face de nous. »[4]

Appel à l’aide, manifestations, grève de l’école, la résistance s’organise via les réseaux sociaux

Voilà ce que nous réclame cette génération d’adolescents mobilisés : que nous nous mettions dès maintenant en ordre de marche car, comme l’a exprimé Greta Thunberg dans son allocution à Katowice « vous n’avez plus d’excuses, nous n’avons plus de temps ». Douze ans, c’est si peu quand on fait le bilan de ce qui s’est passé concrètement depuis le Sommet de la Terre à Rio en 1992 et la signature du Protocole de Kyoto en 1997, 24 COP se sont succédées sans avancées majeures.

Ils nous demandent de nous déclarer dès maintenant en état d’urgence, d’avoir peur pour leur avenir car notre inaction est coupable. Ils ont compris les enjeux planétaires en cours et constaté l’inertie de leurs aînés. Alors que Greta Thunberg est à la fois nommée pour le Prix Nobel de la Paix et accusée d’être la marionnette du « capitalisme vert » il est tant que nous, génération de leurs parents et de leurs grands-parents, prenions en main le destin de l’humanité car c’est bien là l’enjeu qui nous fait face car nous le leur devons et cessons de leur voler leur droit à l’insouciance[5].

 

 

 

 

[1] Cf. Rapport SR15 du GIEC, octobre 2018. Selon ce rapport publié en amont de la COP 24, il reste seulement douze ans pour changer de cap et agir efficacement afin de contenir le réchauffement en-deçà des 2°C, comme préconisé dans l’Accord de Paris, validé lors de la COP 21 en décembre 2015 et ratifié à ce jour par 197 pays.

[2] NDC : Nationally-Determined Contributions – en amont de la COP 21, les états étaient invités à remettre leur contribution individuelle exprimant leurs objectifs en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Les NDC reçues lors de la COP 21 étaient insuffisamment ambitieuses et nous mènent, si elles sont mises en œuvre (ce qui n’est majoritairement pas le cas à ce jour), vers un réchauffement global de +3°C. Il était donc essentiel de revoir ces contributions avant 2020 comme le stipulait le texte de l’Accord de Paris.

[3] Le CVF – Climate Vulnerable Forum, regroupe une quarantaine de pays d’Afrique, Asie, Caraïbes, Amérique Latine, Moyen-Orient et Pacifique, vulnérables face aux conséquences du changement climatique. https://thecvf.org/

[4] Discours de Brice Montagne devant les députés luxembourgeois, https://twitter.com/loopsidernews/status/1097804582472826880

[5] Lettre à Greta – Marie Emery-Leleu https://www.facebook.com/marie.emeryleleu/posts/10156322868643121